6 février 2025 – Infrastructures numériques et services publics : quelle plateformisation ?
Séminaire avec Renaud Gay, Gilles Jeannot et Marielle Poussou-Plesse
Forum des savoir, Maison des Sciences de l’Homme, université de Bourgogne, Dijon, de 14h à 17h – entrée libre
Séance organisée et animée par Marielle Poussou-Plesse
A une heure où la médiatisation performative de « la révolution » des intelligences artificielles nourrit les métapronostics les plus ironiques – renforcement de la domination des magnificent seven (GAFAM, Tesla et Nvidia), en même temps qu’objectivation de leur empreinte matérielle[1] (dont énergétique) défiant l’entendement humain et dans tous les cas incompatible avec toute trajectoire officielle écologiquement soutenable –, à une heure où le nouveau président des États-Unis nomme Elon Musk à la tête d’une administration ad hoc , « un département de l’efficacité gouvernementale » visant à « débureaucratiser » l’État fédéral, la séance se propose de revenir sur une déclinaison majeure du syntagme de la transition numérique – la plateformisation en cours depuis les années 2010 – et d’enfoncer un coin délibérément hexagonal dans les débats internationaux en termes de nouvelle économie politique.
Si de nombreux travaux en économie industrielle sont consacrés de longue date à l’objet plateforme et à ses infrastructures digitales sous l’angle de l’originalité des formes marchandes de mise en relations de protagonistes qu’elles représentent, la fascination qu’elles ont exercée pour la réforme de l’administration et des politiques publiques peut être datée du premier âge états-unien des programmes dits Gaap pour Government as a Platform (selon la formule de l’ingénieur et entrepreneur de la Silicon Valley Tim O’Reilly ayant inspiré l’administration Obama).
La séance explorera autour de deux temps les recompositions du et des service(s) public(s) français articulées aux logiques intrinsèques d’hybridation privé/public de la plateformisation.
Dans un premier temps, fin connaisseur des services publics traditionnels de réseaux et de la place qu’y occupent historiquement des formes classiques de partenariat public/privé, Gilles Jeannot reviendra sur le premier bilan qu’il a offert en 2022 (avec S. Cottin-Marx) de l’ensemble des travaux consacrés aux déplacements de cette ligne de partage : quelle prise en charge par le privé de missions de services publics est poursuivie par leur plateformisation ? En quoi la circulation au sein de l’État de normes issues des entreprises numériques engage-t-elle des processus ambivalents de tentatives de réappropriations d’un sens du « numérisme » guidé par l’intérêt général ?

Le second temps sera consacré à un cas d’étude relevant du service public de santé, donnant l’occasion d’approfondir la discussion sur la privatisation dans la direction d’une réflexion en termes de processus d’institutionnalisation et de leur altération contemporaine. Renaud Gay et Marielle Poussou-Plesse présenteront les résultats d’une recherche consacrée à la plateformisation d’un dispositif présenté depuis son lancement en 2004 comme la pierre de touche de la transformation numérique du secteur de la santé, le Dossier médical partagé (DMP). Relancé en 2019 sous le nom de Mon Espace Santé, après une trajectoire faite de déboires, comme une déclinaison majeure et pionnière de l’État plateforme à la française, le DMP est solidaire d’une vision panoptique en termes d’urbanisation informatique de l’ensemble du système de santé. Des motivations et circonstances politiques présidant à son édification comme infrastructure centralisée captatrice de data de tout·e assuré·e social·e, aux nouvelles injonctions qu’il emporte pour une secrétaire médicale en termes d’identitovigilance, en passant par la sociographie du personnel de la nouvelle administration du numérique en santé et des CGU redéfinissant la relation patient·e/professionnel·e de santé, le propos cartographiera les principales entrées où se joue une interrogation en termes de glissement de la prérogative politique (Robert, 2020), de déplacement de la définition de l’intérêt général (Baudot, 2023) contenus par une orientation digital-by-default transformant l’automaticité en indiscutabilité.
[1] Électricité, eau, terres rares, hardware (l’ensemble des composantes d’un ordinateur).
Titres des interventions
- Privatisations et réappropriations (G. Jeannot)
- Automaticité et indiscutabilité (M. Poussou-Plesse et R. Gay)
Gilles Jeannot, sociologue, est chercheur au Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (Latts, UMR 8134, CNRS, École des Ponts ParisTech, U. Gustave Eiffel), président du département sciences humaines et sociales de l’école des Ponts.
Renaud Gay est enseignant-chercheur en science politique à l’Université Lyon 2, affilié au laboratoire Triangle. Action, discours, pensée politique et économique (UMR 5206, CNRS, ENS de Lyon, U. Lyon 2, Sciences Po Lyon, U. Jean Monnet Saint-Etienne).
Marielle Poussou-Plesse est enseignante-chercheure en sociologie à l’Université de Bourgogne, affiliée au Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche Sociétés, Sensibilités, Soin (Lir3s, UMR 7366, CNRS, U. Bourgogne).
Références françaises pour préparer la séance
Boullier, D. (2021). Puissance des plateformes numériques, territoires et souverainetés. Publication de la Chaire Digital, Gouvernance et Souveraineté, SciencesPo, mai, 110 p.
Jeannot G. (2020). Vie et mort de l’État plateforme. Revue française d’administration publique, 173, p.165-180.
Jeannot G., Cottin-Marx S. (2022). La privatisation numérique. Déstabilisation et réinvention du service public. Raisons d’agir.
Jeannot, G. (2024). L’administration proactive ou l’impossible dépassement de la fracture numérique. Acteurs publics, 15 janvier.
Poussou-Plesse, M. (2024). D’un mythe de l’informatique médicale à la doctolibisation de la santé : les tribulations de l’interopérabilité du Dossier médical partagé français, in B. Bogaert et J.-P. Pierron (dir.) De l’IA à l’intelligence clinique. Ce que le numérique fait au soin, Le Bord de l’eau, 179-200.
Robert, P. (2020). Glissement de la prérogative politique, gestionnarisation et impensé numérique, in P. Robert (dir.), L’impensé numérique – Tome 2. Interprétations critiques et logiques pragmatiques de l’impensé., Editions des archives contemporaines.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ateliertransitions (26 octobre 2024). 6 février 2025 – Infrastructures numériques et services publics : quelle plateformisation ? . Penser les transitions. Consulté le 23 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12kzm